Combien de personnes pensent que quand le harcèlement s’arrête, tout s’arrête ? Combien croient qu’une fois les coups, les insultes, les menaces terminés, la vie reprend comme avant ? Combien refusent de voir ce qui vient après — l’après-harcèlement, celui qu’on tait, celui qu’on nie ?
Moi, j’ai été harcelée. Pendant des années. Frappée, insultée, rackettée, humiliée. Mais aujourd’hui, qui pourrait le deviner ? Personne. Sauf si j’en parle. Et même là, on me répond : « Ça ne se voit pas. »
Non, ça ne se voit pas. Parce que je passe mes journées à le cacher. Je porte un masque de confiance qui ne m’appartient pas. Je cache mes rituels, mes réflexes, mes peurs. Je surveille chaque entrée, chaque sortie. Je scanne les visages, les lieux, les bruits. Je calcule les échappatoires. Je contrôle ma respiration dans les lieux publics. Je ne vis pas. Je me tiens prête.
Tout est potentiellement dangereux. Un passant avec un masque sur le visage ? Mon cerveau explose : « Pourquoi veut-il se cacher ? » La plupart des gens se diront que cette personne est tout simplement malade, d’où le port du masque. Mais mon esprit ne se satisfait pas de cette réponse. On ne sait jamais.
Je ne peux pas me détendre. Je dois être en alerte. Toujours. Je dois regarder derrière moi. Je dois écouter, anticiper, prévoir. Je le dois. C’est comme ça. On ne sait jamais.
Mon cerveau ne connaît pas le repos. Il tourne en boucle, me projette les pires scénarios. Il me dit que c’est pour me protéger. Et je le crois. Parce que j’ai appris que tout peut basculer. Parce que j’ai appris que même les proches peuvent trahir. Parce que j’ai appris que la justice n’est pas garantie. Je l’ai appris à la dure. Je n’ai pas eu le choix.
Et si j’essaie de me dire que je peux relâcher la pression, mes pensées me hurlent dessus. Elles me rappellent chaque moment où j’aurais dû fuir. Chaque fois où j’ai baissé ma garde. Alors je me tais. Et je me tiens prête. On ne sait jamais.
Mais si on regarde bien, on peut lire les traces. Je ne sors jamais sans mes écouteurs. Ils couvrent mes pensées, m’évitent de me retourner dans la rue à chaque minute. Je fuis l’appartement si je suis seule avec la femme de ménage. On ne sait jamais. J’entends un bruit sur le palier ? Je me fige. Je retiens mon souffle. Je pense aux issues. Il n’y en a pas. Alors j’attends. J’écoute. Je me prépare.
Ce réflexe-là, je ne le contrôle même plus. Je suis en pilote automatique. Mon corps agit. Mon esprit est déjà ailleurs. Toujours « au cas où ».
Ces trois mots gouvernent ma vie. Ils justifient tout. Ils nourrissent mon imagination, la poussent à explorer le pire. Et moi, je me tiens prête. Toujours. On ne sait jamais.
Même la nuit, je ne suis pas tranquille. Un stylo tombe ? Je me réveille. Une porte s’ouvre ? Je me réveille. Mon cerveau a dressé mes sens à l’hypervigilance. Et ce n’est jamais assez.
Je déteste être réveillée par quelqu’un. Je bondis hors du lit, prête à me défendre. Mais personne ne me veut de mal. Pas chez moi. Enfin… normalement.
Après le harcèlement, ma peur du noir est devenue incontrôlable. Je ne pouvais plus dormir sans lumière. Même avec, je mettais des heures à m’endormir. Parce que dans le noir, l’ennemi est invisible. Aujourd’hui, je peux rester dans le noir. Mais seulement dans ma chambre. Pas dans un couloir. Pas ailleurs.
Dans un nouvel endroit, c’est pire. Je dors mal. Je me réveille trois, quatre fois par nuit. Pendant une semaine au moins. Je suis épuisée. À cran. Le moindre bruit devient une alerte. Je réagis de manière incontrôlable. C’est un cercle vicieux.
La fatigue est devenue une compagne. Une habitude. Elle m’aide à m’endormir, mais ne m’empêche pas de me réveiller. Elle ne m’apaise pas. Elle m’épuise.
Voilà ce que c’est, l’après. Ce n’est pas la fin. C’est une autre forme de combat. Invisible. Silencieux. Permanent. Et tant qu’on refusera de le voir, tant qu’on dira « ça ne se voit pas », on continuera à abandonner ceux qui, comme moi, vivent encore dans l’ombre du harcèlement.

1/ Quand les insultes deviennent une voix intérieure
- Camille & le harcèlement scolaire
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2/ « Et si ça recommençait ? » Cette peur sourde qui ne me quitte jamais
- Camille & le harcèlement scolaire
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3/ L’après-harcèlement, quand le danger ne part pas
- Camille & le harcèlement scolaire
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4/ La voix qui me protège… et m’enferme
- Camille & le harcèlement scolaire
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5/ Trop jeune pour souffrir, trop lucide pour être crue — La double peine
- Camille & le harcèlement scolaire
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6/ Quand le silence des adultes fait plus mal que les coups
- Camille & le harcèlement scolaire
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