4/ La voix qui me protège… et m’enferme

Camille, 18 ans, a été victime de harcèlement scolaire dès l'école primaire. Elle raconte son parcours afin que chacun puisse toucher du doigt la réalité du harcèlement. (6 épisodes)

Aux séquelles physiques s’ajoutent les blessures relationnelles. Comme si ce n’était pas déjà assez. J’ai perdu toute confiance. Aux adultes, d’abord — ceux qui ont minimisé, nié, inversé les responsabilités. Ceux qui n’ont pas voulu comprendre. Puis aux adolescents — leurs coups, leurs insultes, leur cruauté. Je ne peux faire confiance ni aux grands, ni aux jeunes. Je suis seule. Et ce n’est pas un choix. C’est une nécessité.

Mon cerveau me répète que je ne peux faire confiance à personne. Alors je l’écoute. Je surveille chaque mot, chaque silence, chaque changement. Un simple “bonjour” à la place d’un “coucou” me fait trembler. Je relis les messages. Je cherche l’erreur. Je me demande ce que j’ai fait de mal. Je m’accuse d’actes que je n’ai jamais commis. Mon imagination devient une arme. Et tout a commencé par un mot.
Il y a cette voix. Cette voix qui me hante. Une alarme rouge qui clignote dès que je me confie. Elle me dit que mes paroles seront utilisées contre moi. Que mes amis me mettent de côté. Que même les proches peuvent trahir. Elle imagine le pire. Elle me prépare aux catastrophes. Elle veut me protéger. Mais elle m’empêche de vivre.
Je tente de ne pas l’écouter. Mais parfois, elle a raison. Comme ce garçon que j’ai défendu, malgré mon mauvais pressentiment. Celui qui a propagé des rumeurs. Celui qui a déclenché mon exclusion en CM2. Je voulais croire que je me faisais des idées. Mais j’avais raison. Alors aujourd’hui, je cherche toujours le pire. Ce n’est pas rassurant. C’est terrifiant.

On a tellement nié ce que j’ai vécu que parfois, je doute moi-même. Je me demande si j’ai tout inventé. Il avait l’air sincère quand il disait ne pas se souvenir. Et le doute s’installe. Jusqu’à ce que je me rappelle : Mon frère aussi a été plaqué contre un mur. Il a vu. Je n’ai rien inventé. Et pourtant, cette voix me murmure que je ne suis pas légitime.Je suis incapable de dire que j’ai confiance en quelqu’un. Parce que si je le dis, cette personne saura qu’elle peut me manipuler. C’est un piège. Un casse-tête.

Alors j’ai adopté un masque. Celui d’une personne calme, confiante, sereine. Mais la tempête n’est pas dehors. Elle est en moi. Tout est chaos. Et je fais semblant pour avoir la paix.
Je ne cherche pas à être populaire. Je cherche à être tranquille. Je pèse chaque mot, chaque intonation, chaque silence. La spontanéité est un luxe que je ne peux pas me permettre. Je sacrifie ma tranquillité pour ma sécurité. Parce que chaque interaction est un combat. Parce que j’ai enregistré la violence comme une norme.

Ces souvenirs, ces phrases, je ne les oublierai pas. Pas parce que je le choisis. Mais parce qu’ils sont là. Ils ne disparaissent pas. Je peux juste apprendre à vivre avec.
Pas un jour sans y penser. Pas un jour sans que ces mots ne résonnent.

 “On ne voit pas de différence entre toi et des couilles.”
J’avais 11 ans. Comparée à un organe sexuel.

 “Asociale. Sauvage. Infréquentable. Connasse.”
Je me suis affranchie des mots. Mais pas de l’intention. Elle, elle reste. Elle blesse encore.

Je ne porte pas seulement des cicatrices sur mes bras. 365 cicatrices blanches. Elles ont marqué ma peau à jamais, comme un calendrier gravé de souffrance. Mais ce ne sont que les visibles. Les plus profondes, elles sont à l’intérieur, invisibles. Celles que personne ne remarque. Celles que je cache derrière un sourire maîtrisé.