Il y a tant de séquelles qu’il est impossible de toutes les nommer. Et pour les identifier, il m’a fallu des années. Parce qu’elles étaient devenues normales. Parce qu’elles étaient devenues nécessaires.
Certaines sont discrètes. D’autres, handicapantes. Mais la pire, ce n’est pas de me retourner sans cesse, ni de surveiller chaque recoin. C’est ce réflexe que je ne contrôle pas. Celui qui transforme mon corps en arme. Celui qui frappe avant même que je comprenne.
Je me crispe dès qu’on me touche. Et si quelqu’un m’approche par surprise, je saisis son poignet. Si on fait semblant de me frapper, je lève les bras pour protéger mon visage, je replie ma jambe pour couvrir mon ventre, je prépare mes poings. Et si la personne est trop proche, je frappe. Sans réfléchir. Sans bruit. Parce que mon corps a appris que crier, c’est se faire repérer.
Mon corps a appris à survivre. À protéger la tête, les organes vitaux. À rester silencieux. À anticiper l’attaque. Toujours.
Même un rendez-vous chez le coiffeur devient un combat intérieur. Je sais qu’il n’y a pas de danger. Mais mon inconscient, lui, n’y croit pas. Je lutte contre mes gestes, contre ma respiration. Contre moi-même.
Et mon frère… C’est lui qui en paie le prix. Il reçoit des claques, des coups de pied, des poings. Pas parce qu’il me veut du mal. Mais parce qu’il est entré dans la pièce sans prévenir. Parce que mon corps a réagi avant moi.
Et là, je me déteste. Je me hais de lui faire du mal. Mais ma colère, ensuite, se tourne vers ceux qui ont tout déclenché. Eux, pour qui ce n’était rien. Eux, pour qui c’est du passé. Mais pour moi, c’est le présent. Encore. Toujours.
Quand je suis épuisée, je préviens mon frère : Pas de gestes brusques. Pas de cris. Pas de contact. Je dois tout contrôler. Moi. Et les autres. Pour leur sécurité.
C’est un paradoxe cruel. Je veux me libérer de ces réflexes. Mais une voix me dit : Et si ton cerveau avait raison ? Et si tes amis te trahissaient ? Et si quelqu’un te plantait un couteau dans le dos ? Tu le sais, ça peut arriver. Tu l’as vécu.
Alors je reste en alerte. Dans le métro, j’analyse chaque visage, chaque posture, chaque main. Dans la rue, je scrute les ombres. Parfois, je me prépare à me défendre… contre ma propre ombre. Ne riez pas, je me suis déjà trompée ! Mais n’est-ce pas une métaphore parfaite ? Et si mon véritable ennemi, ce n’était plus les autres… mais moi ?
Mon propre corps me prend pour cible. Je me réveille parfois comme si je sortais d’un cauchemar. Comme si je reprenais conscience après un danger qui n’a jamais eu lieu.
On ne peut pas retirer les souvenirs comme on retire une tumeur. La peur est imprimée dans le cerveau. Et pour l’effacer, il faudrait tout effacer. Mais le corps, lui, ne voit pas ces réflexes comme un fardeau. Il les voit comme une protection. Alors il les garde. Il les amplifie. Il les justifie.
Voilà l’ampleur du problème. Le harcèlement ne s’arrête pas quand il s’arrête. Il s’installe. Il s’infiltre. Il devient un mode de fonctionnement. Et parfois, il prend la forme de soi-même.

1/ Quand les insultes deviennent une voix intérieure
- Camille & le harcèlement scolaire
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2/ « Et si ça recommençait ? » Cette peur sourde qui ne me quitte jamais
- Camille & le harcèlement scolaire
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3/ L’après-harcèlement, quand le danger ne part pas
- Camille & le harcèlement scolaire
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4/ La voix qui me protège… et m’enferme
- Camille & le harcèlement scolaire
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5/ Trop jeune pour souffrir, trop lucide pour être crue — La double peine
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6/ Quand le silence des adultes fait plus mal que les coups
- Camille & le harcèlement scolaire
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