1/ Quand les insultes deviennent une voix intérieure

Camille, 18 ans, a été victime de harcèlement scolaire dès l'école primaire. Elle raconte son parcours afin que chacun puisse toucher du doigt la réalité du harcèlement. (6 épisodes)

Je m’appelle Camille. J’ai 18 ans. Et non, mes années de harcèlement scolaire ne sont pas derrière moi. Elles vivent encore en moi. Elles respirent dans mes cauchemars, dans mes silences, dans chaque battement de cœur qui cogne un peu trop fort.

Tout a commencé en CE2. Des regards qui transpercent. Des remarques qui piquent. Puis les coups dans ma chaise. Les insultes. Ce n’était plus juste désagréable. C’était humiliant. Violent.

CM1 : le racket. Le chantage. Les moqueries. CM2 : je change d’école. Je crois naïvement que ça ira mieux. Mais non. Nouvelle école, même enfer. Rumeurs, insultes, exclusion. Jusqu’à ne plus me sentir humaine.

Sixième. Encore. Nouveaux visages, même haine. On me frappe. On m’insulte. On s’en prend même à mon petit frère. Alors un jour, je craque. Je me défends. Et là, enfin, un adulte réagit. Mais quelle déception ! Mes harceleurs se font simplement « gronder », et deuxième peine, je suis « grondée » au même titre qu’eux. Je suis donc jugée comme une coupable et non comme une victime.

Mais moi ? On me reproche de m’être défendue. On me dit que j’aurais dû parler plus tôt. On me dit que je suis… trop sensible.

Trop sensible. Ces deux mots m’ont collé à la peau comme une condamnation. D’un coup, je suis coupable. Coupable d’avoir ressenti. Coupable d’avoir existé.

Et la nuit, tout recommence. Je me réveille en sursaut, haletante. Je rêve qu’on me tire les cheveux, qu’on me frappe, qu’on m’écrase. Mon corps revit. Mon esprit sature. Je ne dors plus. Je survis.

Je cherche à comprendre. Pourquoi moi ? Et une voix s’installe. Au début, elle me dit : « Tu es responsable. » Puis elle devient moi. « Je suis responsable. » Je me répète que je suis stupide. Nulle. Une erreur.

Je fais tomber un stylo ? Je me traite de merde. Je me trompe de mot ? Je me scarifie. J’ai 13 en maths ? J’écris une lettre d’adieu.

Je me hais. À 12 ans, je voulais mourir. Pas à cause des souvenirs. Mais parce que je croyais sincèrement que j’étais un poison pour les autres.

On m’a fait croire que tout était de ma faute. Que si j’étais seule, c’est parce que j’étais infréquentable. Que si on me frappait, c’est parce que je l’avais cherché. Que si je souffrais, c’est parce que j’étais trop… moi.

Et personne. Personne n’a prononcé le mot « harcèlement » avant des années.

Aujourd’hui, je parle. Parce que le silence m’a détruite plus que les coups. Parce que je ne suis pas la seule. Parce que d’autres enfants vivent ça, en ce moment même.

Je m’appelle Camille. Et je refuse de croire que ma sensibilité est une faiblesse. Je refuse de porter seule la honte d’un système qui m’a abandonnée. Je refuse de me taire.

Parce que ma voix, aujourd’hui, c’est ma revanche.