Léa est en terminale S dans un prestigieux lycée parisien. Après une scolarité sans accro, cette élève brillante est à bout de souffle. Démotivée, elle perd confiance en elle et ses résultats scolaires se font de plus en plus irréguliers. Ses professeurs la perçoivent comme une élève fainéante qui n’arrive pas à se concentrer, ce qui commence à la faire douter de ses capacités pour l’avenir. Et si le problème n’était en fait qu’un fonctionnement cognitif différent, à apprivoiser pour retrouver l’envie d’apprendre et de réussir ?

Lorsque j’ai rencontré Léa* la première fois, elle souffrait de phases de profonde démotivation pendant lesquelles elle ne parvenait pas à travailler, entrecoupées de périodes plus efficaces qui lui permettaient de se remettre rapidement au niveau. Si elle restait une très bonne élève, ses résultats en montagne russe n’étaient pas du goût de l’équipe enseignante de son très exigeant lycée privé, qui lui reprochait son irrégularité et son manque d’ardeur à la tâche. Petit à petit, l’idée que Léa faisait le minimum syndical a fait son chemin, et cette très bonne élève qui avait jusque-là réussi à coller au système a fini par penser qu’elle était réellement paresseuse. Comment expliquer autrement qu’elle n’arrive pas à se concentrer sur ses DS et qu’elle passe une demie heure à regarder par la fenêtre pendant que ses camarades se jetaient sur leurs copies ? Malgré ses efforts pour remonter la pente, Léa a fini par céder à la panique, au point d’être totalement paralysée et de ne plus pouvoir effectuer le moindre DS. Et sa confiance en elle a sombré lorsque ses professeurs lui ont annoncé qu’elle devait renoncer à ses rêves de chirurgienne, ses résultats étant trop irréguliers pour envisager médecine… Impasse.

Mais très vite, il m’est apparu sans l’ombre d’un doute que Léa, loin d’être paresseuse ou fainéante, était tout simplement une adolescente « HP », c’est à dire à haut potentiel intellectuel (HPI) et émotionnel (HPE). Ce qui ne signifiait en aucun cas qu’elle aurait dû composer une symphonie en maternelle ou réinventer la théorie de la relativité en seconde, mais que son fonctionnement cognitif était différent de la majorité de ses camarades. Concrètement, dans le cas d’un DS, si le reste de la classe devait plancher sur la question posée et noircir des pages de brouillon dès la première minute, son cerveau à elle avait au contraire besoin de « décrocher » pour laisser apparaître la solution. En regardant par la fenêtre, Léa – comme tous les HP – laisse « infuser » la question. Pendant qu’elle observe un moineau picorer les restes d’une barre chocolatée dans la cour, son cerveau travaille en toile de fond. Alors qu’elle semble se concentrer sur le régime alimentaire des moineaux, son argumentaire se construit progressivement, jusqu’à faire irruption une demie heure plus tard, quand la moitié de la classe arrive à la fin de sa première copie double. Il ne lui reste plus alors qu’à écrire d’une traite pour terminer son DS avant les autres et obtenir une excellente note…

Depuis, j’accompagne Léa pour lui apprendre à décoder les situations qui la font souffrir et lui donner les clefs pour l’avenir. Dans une société qui valorise l’effort plus que le résultat, son challenge consiste à apprendre à se libérer des modèles scolaires logico-déductifs pour reprendre confiance en elle. Alors que la grande majorité des élèves doivent se concentrer longuement à leur table de travail pour parvenir à un résultat, elle doit au contraire accepter de laisser « infuser » son cerveau en pratiquant une activité non-cérébrale aussi longtemps que nécessaire, en sachant qu’elle saura « rattraper » ce temps d’infusion et parvenir à un résultat au moins aussi brillant que ses camarades…

Ensemble, nous travaillons sur ce rapport au temps, qui est tellement différent pour les HP et qui n’est presque jamais pris en compte par le système scolaire. Pour réussir, ces élèves doivent à tout prix se libérer d’une sensation contre-productive de labeur, de répétition et d’ennui, et au contraire travailler avec l’envie de partager, d’échanger et de satisfaire leurs professeurs. S’ils sont incapables de produire des « preuves » de leur cheminement cognitif (et pour cause !), ils obtiennent d’excellents résultats s’ils travaillent dans un contexte émotionnel stimulant et qu’on les laisse regarder par la fenêtre ou gribouiller sur leur feuille le temps nécessaire à leur « infusion ». Plus tard, ces profils s’épanouissent d’ailleurs généralement dans un cadre professionnel qui les autorise à infuser à leur guise, sans avoir à fournir sans cesse des preuves d’efforts à leur hiérarchie. Il ne leur reste plus qu’à trouver la meilleure stratégie d’infusion (faire le ménage, marcher, dessiner ou faire du point de croix) pour arriver à produire des résultats surprenants en un temps record… Et si Léa commence ses devoirs le dimanche soir et s’attelle à son exposé trimestriel l’avant-veille, nul doute qu’elle peut quand même obtenir les meilleurs résultats de la classe, car cela fait des semaines qu’elle infuse en toile de fond…

C.V.

  • Les prénoms ont été modifiés et toutes les histoires racontées dans ce blog sont respectueuses du secret professionnel et de l’histoire personnelle des patients. « Léa » a donné son accord pour aider d’autres personnes à se reconnaître dans son cas, merci à elle !