Lorsque j’ai annoncé aux parents de Gabriel *qu’il était certainement «Haut Potentiel », ils ont marqué un temps d’hésitation. Ils étaient venus consulter parce que leur fils de 11 ans avaient des problèmes scolaires et ne rapportaient que de mauvaises notes à la maison, et voilà que je leur répondais qu’il était précoce ! A moins que la psy ne fasse des blagues, il y avait là une situation qui leur échappait… Et pourtant, 8/20 de moyenne et HP, voilà une situation bien fréquente dans nos métiers…

Cette histoire est celle de Gabriel, mais elle pourrait aussi bien être celle de Simon, Ariane, Adèle, Samir ou Anna… Elle commence toujours par un problème scolaire difficile à surmonter : l’enfant est curieux et intelligent, à la maison tout va bien, mais son comportement en classe pose problème. Dans le cas présent, Gabriel est décrit comme un élève de 6eme bavard et dans la lune qui semble complètement désinvesti. Ses cahiers révèlent d’ailleurs son manque de soin et son bulletin de notes est alarmant : 8/20 de moyenne au premier trimestre et un manque certain d’encouragements de ses professeurs… Les parents, désemparés, s’aperçoivent alors que leur fils a de plus en plus de mal à s’endormir, que son sommeil est agité et qu’il montre des signes d’anxiété…

En parlant avec Gabriel, je reconnais bien vite les « symptômes » de son mal-être. Cet enfant n’est heureusement absolument pas malade, il souffre simplement d’un énorme décalage avec le système scolaire doublé d’un ennui profond et d’un manque total d’intérêt dans les matières enseignées. Alors que ses camarades de 6e découvrent avec plus ou moins d’émerveillement la mythologie égyptienne et les Dieux grecs, Gabriel n’en finit plus d’être consterné par la façon dont son prof d’histoire présente le sujet. Il a déjà tout lu en CM1, connaît son Olympe sur le bout des doigts et se retient pour ne pas humilier le prof en pointant du doigt ses erreurs. Quand il finit par le provoquer, il récolte tellement d’heure de colle qu’il décide de lâcher l’affaire… Ses parents, qui savent bien que la progéniture de Zeus n’a plus aucun secret pour lui, estiment qu’il devrait briller, mais c’est tout le contraire. Dans un cadre dépourvu de tout lien émotionnel, Gabriel décroche et cesse de mobiliser ses connaissances… A quoi bon ?

Lorsqu’on parle de précocité et de haut potentiel, les préjugés ont la vie dure. Si tout le monde sait aujourd’hui qu’être « surdoué » ne signifie pas être un mini-Einstein en puissance, de nombreux adultes pensent tout de même que les enfants précoces doivent être spectaculairement intelligents, avec 18/20 de moyenne et deux ans d’avance. Il n’en est rien. Alors il a fallu expliquer aux parents de Gabriel ce qui se cachait réellement derrière ses deux lettres énigmatiques : HP. Un haut potentiel et une intelligence vive, certes, mais surtout un mode de fonctionnement différent. S’il a des capacités étonnantes qu’il pourra développer pour devenir un adulte épanoui et reconnu pour ses talents, Gabriel a surtout un logiciel interne qui fonctionne différemment de celui de ses copains de classe. Et à onze ans, il a besoin de créer des liens affectifs forts et de trouver du sens à ce qu’il fait, sans quoi il s’étiole à vue d’œil. La culture de l’effort lui est parfaitement étrangère, car son intelligence est intuitive et sa mémoire ne se met en marche que s’il s’intéresse au sujet. Rien ne sert de l’obliger à faire ses devoirs assis à son bureau pendant des heures, il risque de se braquer devant la lourdeur de la tâche. A l’inverse, il peut les boucler en un temps record s’il les fait debout, en musique, au café ou sur un banc du parc… Pour les parents de Gabriel, ces recommandations sont une énorme surprise. Mais très vite, ils recoupent les faits et se rendent à l’évidence : leur fils a d’immenses capacités, mais il faut l’aider à les développer en lui offrant un cadre affectif fort et une stimulation permanente pour « nourrir » sa curiosité. Au collège en revanche, le message passe moins bien. Non-formés aux spécificités des Hauts Potentiels, ses professeurs n’acceptent ni le diagnostic de cet enfant « trop sensible » ni les micro-aménagements que je réclame. Une fois encore, on demande aux enfants HP de s’adapter au système, alors que le système ne s’adapte pas à eux…

C.V.

* Les prénoms ont été modifiés et toutes les histoires racontées dans ce blog sont respectueuses du secret professionnel et de l’histoire personnelle des patients. Cette situation est tellement fréquente que des dizaines de famille pourront se reconnaître dans ce récit…